Dubailand


Dubailand. Oui, comme Disneyland. Mais un Disneyland qui ne serait pas du tout une destination pour visites familiales (par ailleurs ruineuse… ), avec personnages bien vivants venus des films qui, après avoir traversé l’Atlantique , ont enchanté, de dalmatiens en Minnie, de Pluto en Roi Lion, des générations d’enfants. Qui ne serait pas non plus un espace médiatisé dans lequel un Président de la République, pour se faire remarquer, fait savoir à son bon peuple qu’il est amoureux d’une chanteuse d’origine italienne en portant l’enfant de cette dernière sur ces épaules. Non, un Disneyland où vivre. Un espace entièrement fabriqué, aux portes du désert, au sein du désert, comme un défi à toutes les règles qui, depuis les débuts de l’humanité ont vu des êtres s’installer dans des contrées accueillantes, ou au moins supposées telles.


Dubaï est un petit pays. Mais d’une très grande richesse, venue de son sous-sol, insoupçonnable sous l’étendue de sable : le pétrole, l’or noir. Un pactole que, dans la logique de l’argent, il faut investir, faire fructifier, installer pour que reste quelque chose après que la source, comme cela adviendra, soit tarie. Alors, Dubaï parie sur le tourisme. Un tourisme de luxe extrême, où l’on ne compte plus la surenchère d’étoile pour des palaces futuristes dont l’esthétique combine clichés des Mille et Une Nuits, Star Wars et échos en carton pâte d’une Antiquité fantasmée. Qu’elle soit gréco-romaine ou encore égyptienne. Pour que le rêve soit plus fort, inimaginable en fait, et pourtant bien « réel », on construira des îles, de nouveaux polders gagnés sur la mer, mais en forme de palmiers, on fera preuve d’extravagance, on débordera de dorures, on affichera les codes d’une luxuriance orientale que les occidentaux raffinés trouveront de mauvais goût, avec cimeterres en néon et statues géantes, façon bronze, aux paillettes clignotantes. L’apparence du toc et la lourdeur d’un « chic » formaté sur les normes récupérées des valeurs de l’Ouest, avec toute la gamme de produits de luxe, de marques clinquantes, de bimbeloterie d’or et de diamants.


C’est donc Dubaï. Dubaïland. Dubaï qui s’imagine comme un futur, qui s’invente un futur construit par des immigrés à la peau brune venus souvent d’Asie et normalement exploités par les anciens bédouins ayant oublié leurs tentes et leurs chameaux dans leurs grosses voitures climatisées. Un futur ? C’est ce qu’ils disent. Ce qu’ils croient certainement. Ce dont ils ressentent le besoin, de façon de plus en plus prégnante au fur et à mesure que la source de richesse dit sa fragilité. Venue du néant, la ville dit, plus que tout autre, en les poussant à leurs limites absurdes, les désirs, les fantasmes, les illusions du monde contemporain.


Ce Dubaï là, celui de l’illusion, du trompe l’œil, des apparences trompeuses, est en parfaite adéquation avec les fonctionnements même de la photographie qui donne à voir et laisse croire, sans se soucier et même sans savoir aller au delà de la surface. Aleix Plademunt, jeune artiste catalan, a parfaitement compris le parti qu’il pouvait tirer de ces leurres, de ces décors qui semblent, au bout du compte, n’appeler rien d’autre que l’image. Il a tiré les leçons des coloristes contemporains, sans se laisser prendre ni par une tradition américaine qui s’émousse après avoir changé la vision dans les années soixante-dix, ni par la rigueur implacable et la froideur de l’école allemande qui tient depuis vingt ans le haut du pavé, sur le terrain des espaces urbains et architecturaux entre autres. Il n’a pas copié, il ne s’est pas coulé dans un moule, il a appris de la rigueur et du fonctionnement par projets, par séries.


Il reste dans la logique de ses travaux antérieurs, de sa captation des lumières et de la couleur pour analyser et mettre en crise le monde qu’il traverse, poser des questions, pointer des absurdités, s’inquiéter sans se lamenter. Tout cela sans spectaculaire, avec un joli sens de l’humour et de la dérision. C’est ce qu’il a démontré dans son projet « Res » (« Rien », en catalan) pour lequel il a installé ce mot, l’un des plus courts et les plus significatifs peut-être d’aujourd’hui, dans toutes langues et les graphies du monde, de Grèce au Japon, des Etats-Unis en Turquie, de Chine au Mexique, de Russie en Egypte et, bien entendu, à Barcelone. Dans la logique, également, de sa proposition des « Spectateurs » qui, tour à tour insolites, isolés ou en masse, regardent un univers inquiétant, dérisoire ou normalisé sur leurs chaises pliantes en bois, de celles que l’on retrouve dans le monde entier.


Dubaï. Dubaïland. C’est un immense parc d’attractions poussé aux limites actuelles de l’imaginable. Un jardin artificiel dans lequel on amène à prix d’or de l’eau pour faire pousser au bord des routes des ifs que l’on taillera impeccablement, comme dans des jardins « à la française », un espace dans lequel une fusée, sortie tout droit de Tintin, tentera de séduire sous le soleil le visiteur qui ne se sera pas réfugié dans la fraîcheur d’une pyramide égyptienne bien accompagnée de ses obélisques et de son Sphinx ou qui n’aura pas fait halte à l’ombre d’une tasse monumentale de « Nescafé ». Dubaï, c’est un monde, un nouveau monde, dans lequel, sur le bord de l’autoroute, des jeeps grosses comme des immeubles donnent l’échelle des véhicules filant sur l’asphalte, devenus ridicules miniatures, et qui n’ont aucun sens de la mesure, ni de la modestie.


On peut imaginer les chaises des « spectateurs » d’Aleix Plademunt, installées devant un « rien » calligraphié en arabe et traduit en « Nothing » face à une mappemonde rutilante installée sur un rond point de Dubaï. Il n’y aurait là aucune exagération.



Christian Caujolle
2008